Norica Costache est conseillère au Centre national de la culture des Roms. Elle répond aux globe-reporters de la classe de cinquième Carangue du collège Jean-Lafosse, à La Réunion.
Droits humains et solidarité
Le bâtiment dans lequel se trouvent les bureaux du Centre national pour la culture des Roms.
Les globe-reporters du collège Jean-Lafosse souhaitent que notre envoyée spéciale se rende au musée de la culture des Roms, qui se trouve dans le quartier de Giulesti, au fin fond de Bucarest. Mais Elodie AUFFRAY rencontre plusieurs obstacles : d’abord, au sein de l’association qui a créé ce musée (et qui s’appelle Romano ButiQ), personne ne parle le français. En plus, le musée est fermé en ce moment. Il a brûlé accidentellement en 2016. « Il y a encore un espace d’exposition, mais il est fermé en hiver, parce qu’il est trop grand à chauffer », indique au téléphone et en anglais Ciprian Necula, le président de Romano ButiQ. Il explique aussi pourquoi le musée se trouve loin du centre-ville, une des questions posées par les globe-reporters : « Un ami nous a mis à disposition un terrain dans ce coin. En plus, c’est un quartier où habite une communauté rom. »
Notre reporter se tourne donc vers Norica Costache, qui est conseillère au Centre national de la culture des Roms, une institution créée par le gouvernement en 2003. On appelle aussi ce centre « Romano Kher », « La maison des Roms » en romani (la langue des Roms). Ce centre s’occupe de promouvoir la culture et l’histoire des Roms, qui sont très mal connues en Roumanie. Les périodes difficiles sont peu abordées : l’esclavage, aboli définitivement en 1856, la déportation pendant la Seconde guerre mondiale et la maltraitance sous le communisme. Le Centre publie des livres, soutient la création de pièces de théâtre qui parlent de ces sujets, etc. Il est situé tout en haut d’un bâtiment de 10 étages, qui appartient à l’Etat, dans le quartier de Grozavesti, assez central. Pour l’instant, il ne s’agit que de bureaux, mais l’objectif est de créer un musée, un jour.
Norica Costache, 51 ans, y travaille depuis 2014. Elle est elle-même Rom. Elle a grandi et elle habite toujours à Glina, un village de la périphérie de Bucarest qui compte une forte population rom.
Norica Costache
-Combien y a-t-il de Roms en Roumanie ?
Officiellement, il y a 600.000 Roms. Mais les chiffres des associations, et même de la police, sont différents : ils seraient 2 millions, voire 2,5 millions. Beaucoup de Roms ne veulent pas déclarer leur identité, peut-être à cause de l’histoire, du rejet de la société et des répercussions.
-Que signifie être Rom aujourd’hui, en Roumanie ?
C’est difficile de répondre à cette question. Ils sont reconnus comme une “minorité nationale”, voici la définition officielle.
Mais les expériences que les Roms ont vécu en Europe et en Roumanie, notamment les épisodes dramatiques à travers les différentes périodes de l’histoire influencent beaucoup les relations entre les Roms et le reste des Roumains. De même qu’elles ont un impact sur la perception des Roms par la société
-Vous sentez-vous exclus ?
En tant que minorité nationale, "exclus" est peut être un peu fort, être Rom en Roumanie n’est pas facile, ce n’est pas une réalité confortable. Les roms sont perçus négativement par la majorité de la population, c’est le résultat de siècles de domination envers cette minorité. Cette communauté a été réduite en esclavage pendant cinq siècles, du XIVe au XIXe siècle. C’est la plus longue période d’esclavage dans l’histoire de l’humanité ! Ils étaient esclaves des monastères, des boyards (nobles) et des voïvodes (gouverneurs). Ils faisaient l’entretien, les travaux agricoles. Ils étaient considérés comme des objets, vendus comme tels. Ensuite, sous le régime nazi, des centaines de milliers de Roms ont été durement éprouvés. Ils ont été déportés en Transnistrie. Environ 40 000 personnes, dont 6 000 enfants. Le but était de les assassiner, de les supprimer, beaucoup d’enfants sont morts. Sous la dictature communiste, les Roms ont été assimilés de force, et l’objectif était de totalement éliminer cette identité en tant que telle. Les groupes de Roms itinérants, qui allait proposer leur travail sur tout le territoire, ont été forcés à se sédentariser mais rien n’était prévu pour qu’ils gagnent leur vie. Ils ont perdu leurs connexions, leur savoir-faire ; leur façon de vivre. Ils n’arrivaient pas à s’adapter à cette sédentarisation forcée et se sont retrouvés sans moyens de subsistance. Un autre aspect : d’un point de vue administratif, ils n’avaient pas de papiers pour prouver leur identité, leur résidence, pas d’actes de propriété, donc ils n’avaient aucun droit et n’en ont pas aujourd’hui faute de document.
-Et qu’en est-il de votre expérience à vous ?
Je suis un cas particulier car je suis connectée à la culture rom dans mon travail, et j’espère que d’autres en bénéficieront. Mais je me suis sentie exclue quand j’étais élève car je ne savais pas qui j’étais. Jusqu’à mes 18 ou 20 ans, je n’ai jamais entendu parler de la culture ou de l’histoire des Roms. Nous sommes une réalité historique, mais nous n’existons pas dans le sytème de l’éducation nationale, c’est une façon de nous exclure. Par contre, il existe des expressions et des stéréotypes négatifs et ça va influencer le développement scolaire des enfants roms.
Le mot "tzigane" est très péjoratif : c’est un mot qui porte la honte, les gens n’en veulent pas comme voisin, les enfants n’en veulent pas comme copain. A la télévision, on entend l’expression "ne faites pas comme un tzigane" pour décrire un comportement problématique La précarité de l’éducation à destination de cette communauté explique l’exclusion du marché du travail. De même les infrastructures, tous les services publics ne fonctionnent pas bien dans ces territoires.
-Qu’est-ce qui vous donnerait le sentiment d’être intégrés au peuple roumain ?
La seule solution, est d’éduquer les gens, de leur faire connaître l’histoire des Roms, qu’ils comprennent que l’histoire des Roms, c’est leur histoire aussi. C’est important aussi de dire que la discrimination et les stéréotypes négatifs ont des racines anciennes depuis des siècles. On doit travailler pour faire changer les mentalités, c’est très difficile, elles sont bloquées.
-Envisagez-vous de quitter la Roumanie pour cette raison ?
J’y ai pensé parfois. Beaucoup de Roms ont décidé de partir. Je me demande parfois pourquoi je n’ai pas fait pareil, j’ai commencé à chercher mon identité, à en savoir plus sur l’histoire, la culture. C’est une responsabilité je pense et donc : je suis restée ici, c’est ma façon de participer à faire connaître l’identité des Roms. Le fait de continuer à parler la langue romani dans ma famille, ça m’a aidé à comprendre qui je suis. Mais la langue n’est pas reconnue et pas utilisée dans la vie quotidienne ; dans l’administration. Elle est en train de se perdre, en effet : à quoi bon l’apprendre si on ne peut l’utiliser nulle part.
-Pourquoi le musée de la culture des Roms se situe-t-il si loin du centre de Bucarest ? Qui est initiateur de ce projet ?
Ce musée n’est pas le résultat d’un projet institutionnel, ce sont des étudiants qui l’ont créée dans le cadre d’un projet de recherche. Nous - organisations et représentants des Roms - avons essayé d’établir un musée aussi, mais nous devons avoir le soutien de l’état et accès aux archives : ce n’est pas le cas. Ce musée dans périphérie est une initiative d’un groupe, d’une association, pas étatique.
Ici, au centre culturel, l’objectif est de développer et de promouvoir la culture rom. Qu’elles soit traditionnelle mais aussi moderne. On édite des livres, qui parlent de l’histoire, de la langue, de la culture romani. On y montre des exemples de grandes personnalités roms qui ont contribué à la société roumaine et européenne. Nous avons aussi fait une caravane culturelle, dans les universités : nous avons rencontré des étudiants, organisé des débats... Beaucoup de gens n’ont jamais entendu parler de l’histoire des Roms.
Exemple de livre publié par le Centre national de la culture des Roms : celui de gauche présente des Roms célèbres, comme le violoniste Ion Voicu. Celui de gauche est un manuel pour apprendre le romani, la langue des Roms.
- Qu’est-ce que l’Etat fait en faveur des Roms ?
La plupart des mesures sont sociales. Mais on ne constate pas de changement radicaux. Cette communauté est très pauvre. Le parlement roumain a adopté trois lois, celle qui célèbre l’abolition de l’esclavage des Roms. Une autre qui célèbre la journée internationale des Roms (le 8 avril), et une loi qui célèbre la journée de la langue romani. Ce sont des actions importantes qui contribuent à façonner l’identité rom. Il existe des programmes de lutte contre l’exclusion, c’est une stratégie nationale, mais qui doit être appliquée au niveau local, c’est le challenge.
Parmi d’autres initiatives, on espère la création d’un Musée national de la culture rom qui doit être au même niveau que les musées nationaux pour montrer que cette culture a contribué à la culture roumaine.
-Pour vous, y-a-t-il une identité rom en Roumanie ?
Non je ne pense pas, en fait c’est une identité négative, qui ne correspond pas aux valeurs et aux expériences, à la richesse du peuple rom. Ce projet doit être entrepris par les générations d’aujourd’hui, et doit venir des Roms. Ce sont aux Roms de décider qui ils veulent être dans le contexte d’aujourd’hui.
Sources sonores